De gauche à droite:Sofia de Meyer, Alexandre Graf, Jonas Vonlanthen et François Pugliese (Photo © Pierre-Henri Badel)

Dans le cadre d’une table ronde organisée dans le cadre de l’édition 2019 du Forum Management Montreux qui s’est tenu le 26 octobre dernier, quatre spécialistes de la disruption ont confronté leurs visions de l’émergence des nouvelles technologies au sein des entreprises.Spécialistes de la transformation et de la gestion du changement dans les entreprises, Aleandre Graf, CEO de la société Shake.swiss admet que la pression économique est toujours plus pesante pour la main-d’œuvre. Selon lui, la fonction de controlling est devenue trop pesante, ce qui risque de se concrétiser par une proportion accrue d’employés dans ce secteur. Or, les entreprises engagent des réformes dans leur organisation, ce qui se traduira par une situation où toute partie du support du middle management va inéluctablement disparaître.François Pugliese, propriétaire de la société Elite, dont la croissance annuelle est de l’ordre de 10%, entend éviter que les gens ronflent durant la nuit. « Notre objectif est d’arriver à faire bien dormir les gens », souligne-t-il. Et pour cela, il a doté ses lits d’une panoplie de dispositifs dérivés de la technologie de l’internet des objets (IdO). « C’est pour cela que nous participons à des programmes de développements au sein de grandes écoles », dévoile-t-il.Pour Sofia de Meyer, CEO de la société Opaline et directrice de la Fondation éponyme, la réponse à la manière de faire grandir des organisations est basée sur les contacts humains. « On est tous nés au sein d’une appartenance », admet-elle. « Un manager n’est rien d’autre qu’un catalyseur de valeurs internes. »

Supprimer les goulets d’étranglement

« Nous vivons toujours dans le même esprit de ce qui l’on faisait depuis 2008-2009, à l’époque où le mot d’ordre était inspect & adapt », admet Jonas Vonlanthen, partenaire de la société Liip. « Nous nous sommes rendu compte par nous même que nous étions des  goulets d’étranglement », reconnaît-il. Du coup, il a supprimé une couche managériale, ce qui lui a permis de gagner en motivation et en vitesse d’exécution. « Il y a beaucoup d’entreprises fortement hiérarchisées qui sont bloquées à cause de cela », diagnostique-t-il.

Le style de management actuel est aussi remis en cause par Alexandre Graf. « Le mode pyramidal est voué à disparaître. Aujourd’hui, on surmonte des risques, mais demain, il nous faudra maîtriser les opportunités. » La difficulté consiste cependant à s’affranchir de modèles formatés par les directions.

Redonner du sens au travail

« Il faut aussi parler de ce que représente l’intelligence émotionnelle », note en l’occurrence Sofia de Meyer. « Il s’agit là de la vraie valeur de demain », poursuit-elle. Alexandre  Graf revient sur les fondements de l’entreprise et le genre d’activités qui vont disparaître. Il reconnaît que quand on aura digitalisé l’entreprise, cela va provoquer une modification inéluctable de la fonction managériale et redonner du sens au travail.

De son côté, François Pugliese souligne qu’il a la chance de pouvoir compter sur des personnes fantastiques qui s’occupent de faire « tourner le baraque ». Les gens ont pourtant besoin de quelqu’un qui leur donne du sens au travail.

« Dans une organisation autogérée, on s’attend à ce que les gens fassent leur travail », relève pour sa part Jonas Vonlanthen. Ils sont pourtant nombreux à ne pas avoir l’habitude de voir les choses sous cet angle. C’est d’ailleurs pour cela que l’on a besoin de faire appel à des coachs et des formateurs. Et c’est aussi pour y arriver qu’on les incite à aller chercher l’avis des autres collaborateurs actifs dans l’entreprise. Quant au problème du transfert des rôles des dirigeants, il admet que s’il y avait des choses qu’il n’exécutait plus, c’est assurément parce qu’il les faisait mal.

Stimuler la réactivité des flux de communication

Sofia de Meyer livre encore un précepte important en matière de motivation des employés et de réussite du projet : « Celui qui va porter le projet en est aussi le responsable. » Avec des structures allégées, Jonas Vonlanthen se félicite de la réactivité des flux de communication et de l’absence de blocages qui en découle : « Aujourd’hui, un dysfonctionnement remonte très vite aux oreilles des responsables. »  Cela permet de le corriger avec le maximum de célérité.

François Pugliese rebondit sur cette assertion en soulignant que la notion de chef n’a plus de sens. « Je suis un animateur du système, » avoue-t-il. Ce dernier explique aussi fièrement qu’animer une entreprise demande aussi un surcroît de flexibilité : « Je n’ai pas un style de management, j’en ai plusieurs », souligne-t-il.

Une telle attitude a aussi des répercussions directes sur les relations avec sa clientèle, explique de son côté Alexandre Graf. « Quand on fait preuve de transparence, on a aussi la reconnaissance de ses clients. » Mais tout cela n’est pas sans présenter des limites. « La bienveillance est positive, mais il ne faut pas exagérer », admet-il.

Savoir affronter les écueils

A la question de savoir si ce nouveau mode de management permet d’éloigner toutes les difficultés, Sofia de Meyer n’en voit plus beaucoup. « L’accompagnement les évite. Et quand de telles situations apparaissent malgré tout, cela leur donne moins d’importance, car la bienveillance est une valeur de tous au sein des entreprises libérées. » Un tel phénomène est courant, reconnaît de son côté François Pugliese. « Les échecs arrivent tous les jours. Cela fait partie de la vie des entreprises, J’aspire de mes employés qu’ils soient bienveillants aussi dans le cadre de leur vie privée, mais je ne suis pas un fanatique du modèle que prône Google ». Pour lui, un tel asservissement à l’entreprise est une attitude contre nature.

Il est cependant vrai que les écueils peuvent toujours se dresser dans le management d’’une entreprise. Alexandre Graf l’admet volontiers. « Nous n’avons pas anticipé que des collaborateurs un peu faibles puissent être ostracisés par les plus forts. Je l’ai beaucoup regretté », admet-il.

© Pierre-Henri Badel