De gauche à droite: Raphaël Rollier, Jérôme Berthier, Olivier Verscheure et Laura Tocmacov. (Photo © Pierre-Henri Badel)

A l’occasion d’un débat ayant trait à l’impact des nouvelles technologies sur l’emploi et le management qui s’est tenu le 26 septembre 2019 dans le cadre du Forum Management Montreux, plusieurs acteurs engagés dans cette problématique ont fait part de leurs expériences face à un auditoire très réactif et aux avis parfois très tranchés des intervenants.Prenant l’exemple d’une société genevoise qui a une position dominante sur le marché des horodateurs, Raphaël Rollier, responsable de l’innovation et du management à l’Office fédéral de la topographie (Swisstopo), admet que le défi à relever par la direction de celle-ci n’est pas de savoir si elle va perdre ce marché, mais bien quand. « Il leur faut donc se préparer à une telle échéance et déployer des scénarios susceptibles d’anticiper les changements qu’il leur faudra affronter pour survivre à un moment ou un autre », admet Raphaël Rollier. Mais la question est de savoir quelle sera la stratégie à déployer, et comment innover pour faire évoluer ses produits.

Savoir comment démystifier l’IA

Parmi une des pistes envisagées est de développer des solutions basées sur des capteurs insérés dans la chaussée pour savoir où se trouvent des places de parc qui soient libres et qui envoient des signaux informant les conducteurs s’ils se trouvent à proximité d’un endroit où se garer.

Il évoque aussi l’exemple d’une entreprise commercialisant des tire-laits qui sont équipés de dispositifs faisant appel à l’internet des objets (IdO) permettant de collecter des données sur la consommation de lait des nouveau-nés et permettant de conseiller les femmes sur l’utilisation la plus judicieuse possible de leur tire-lait en fonction des besoins de leur bébé.

Il explique pourtant que pour les petites sociétés, se lancer dans le monde de l’intelligence artificielle (IA) s’avère aujourd’hui encore trop onéreuse. Et quand ce n’est pas le cas, l’écueil principal est que les gens ont peur de ce qu’elle représente. « On arrive actuellement à conférer de l’intelligence artificielle à tous les objets de la vie quotidienne », admet Raphaël Rollier. Mais la question est de savoir ce que l’on entend par intelligence artificielle. « Il s’agit surtout de la démystifier ».

De fabuleuses mutations

Ce besoin de démystifier l’IA est aussi une question vitale pour la société, relève de son côté Laura Tocmacov Managing Director à la Fondation Impactia. « Depuis trois ans, les progrès réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle sont monstrueux », reconnaît-elle en admettant que l’IA n’aille pas faire disparaître des emplois, mais des tâches. « Cela engendre beaucoup de peurs chez les travailleurs. Il y a vraiment besoin de rassurer ».

Raphaël Rollier attrape la balle au bond sur ce sujet en soulignant que pour démystifier les retombées de l’IA auprès des gens, il faut bien expliquer les choses en prenant des exemples de l’application de l’IA et leur montrer l’aspect positif. Par exemple en soulignant l’intérêt qu’il y a pour ceux qui font de l’assistance à la clientèle d’avoir un retour des pannes qui ont été signalées par les clients.

Associer l’humain avec l’IA

De son côté, Olivier Verscheure, directeur  au sein du Swiss Data Science Center des Ecoles Polytechniques Fédérales de Lausanne et Zurich, admet que des pertes d’emploi sont indéniables, mais que cela en crée aussi. L’IA engendre la création de nouveaux métiers. Le problème est que les emplois perdus le sont en Suisse, alors que ceux qui sont créés le sont aux Etats-Unis et en Chine. Il s’agit donc de tout faire pour préserver ces emplois dans notre pays. « Les acteurs du marché et les citoyens suisses doivent en être conscients », souligne-t-il. Il faut donc développer des dispositifs de formation adaptés.

« En ce qui nous concerne, on constate que les personnes peu ou moyennement qualifiées ont de la peine à transiter dans ces nouveaux métiers. Et qu’est-ce que fais quand on me l’enlève ? », se demande-t-il en soulignant par là la réalité qui est marquée par une pénurie de talents dans ces métiers. « Il s’agit d’arriver à associer l’humain avec l’IA », enchaîne-t-il.

De difficiles reconversions

Pour Laura Tocmacov, dans ces métiers, on est confronté à des évolutions au niveau pratique. La question est de savoir comment faire pour faire passer les ingénieurs et développeurs à s’intéresser à l’IA. « Il faut développer des projets d’IA offrant des gains de valeur et embarquer les collaborateurs dans l’aventure », conseille-t-elle. Plusieurs voies sont ouvertes  sur la manière de former les collaborateurs de manière à ce qu’ils se lancent dans ces nouveaux métiers.

De son côté, Jérôme Berthier, expert en intelligence artificielle et vice-président de la Fondation Empowerment, admet que toutes les tâches répétitives doivent être confiées à des machines. « Les classes du middle management sont condamnées », regrette-t-il d’augurer. Quant à Olivier Verscheure, il admet que de vraies voies pour les collaborateurs consistent à se lancer dans les métiers de la maintenance. Mais on ne devrait pas parler d’IA, mais de science des données dans laquelle on intègre les gens à l’interne au lieu d’une IA qui vient de l’extérieur et qui propose des services outsourcés.

En conclusion, Laura Tocmacov, souligne que la peur des changements pourra être atténuée et surmontée en appliquant des thérapies inventées par exemple au cours desquelles le processus va être analysé en vue d’aider les gens à gérer leur anxiété.

© Pierre-Henri Badel